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La Réforme après la Saint-Barthélémy


Au soir du 23 août 1572, la Saint-Barthélémy anéantissait un grand nombre de protestants. Des ordres venus de Paris arrivèrent au gouverneur de Picardie, Léonor d’Orléans, duc de Longueville. C’était un homme juste ; il fut frappé d’horreur et ne s’employa qu’à calmer les esprits et à réfréner le fanatisme. La Picardie fut donc relativement épargnée. Le Vermandois, où les réformés n’étaient pas encore très nombreux, fut préservé. Mais, terrifiés par les nouvelles du dehors, certains huguenots s’enfuirent et d’autres abjurèrent.

Saint-Quentin ne retrouva une vraie communauté réformée que quelques années plus tard, lorsqu’il y eut une forte arrivée de réfugiés huguenots venus de l’autre côté de la frontière. En effet, Philippe II d’Espagne continuait à persécuter cruellement ses sujets des Pays-Bas. En 1579 l’un d’eux, Armand Crommelin, vint se réfugier à Saint-Quentin. Il fabriquait des batistes et des linons. Son industrie remplaça bientôt dans la ville celle du drap et en fit dès lors la richesse. Les autorités de Saint-Quentin ne craignaient pas tant l’arrivée de nouveaux habitants que l’invasion des idées nouvelles ! On accusa donc d’espionnage certains nouveaux venus, ce qui permit d’en expulser un certain nombre.

En 1589, Saint-Quentin continuait à marquer son opposition au calvinisme. D’abord rattachée à la Ligue par idéologie religieuse, elle s’en éloigna à cette époque lorsque la Ligue évolua en parti plus politique que religieux. Les autorités saint-quentinoises signèrent alors le " Serment d’Union ", mélange de fanatisme religieux et de haine. Elles juraient d’extirper l’hérésie et d’exterminer les hérétiques tout en proclamant leur entier dévouement au roi et au pape.

A quelques lieues de Saint-Quentin, la forteresse du Catelet-les-Gouy fut un important lieu de culte. Elle se dressait au bord de l’Escaut, frontière entre France et Pays-Bas espagnols. Cette forteresse avait été bâtie en 1520, sur ordre de François Ier, par Jean d’Estrées, capitaine et grand maître de l’artillerie de France. Jean d’Estrées avait été l’un des premiers gentilshommes picards à embrasser le calvinisme. Suivant toute vraisemblance, c’est lui qui, à la faveur du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye (août 1570), organisa un lieu de réunion en son château. Les protestants des environs, tant du côté français que du côté des Pays-Bas espagnols, purent s’y retrouver. Malheureusement la Saint-Barthélémy força Jean d’Estrées à abjurer. Par ailleurs l’édit de Nemours du 8 juillet 1585 ayant révoqué les garanties royales antérieures, les cultes cessèrent à cette époque.

Après l’avènement d’Henri IV et la remise en vigueur des anciens édits de pacification (juillet 1591), il sembla opportun de reprendre le culte au Catelet, ce qui fut fait avec la permission du roi. Le ministre Joachim Dumoulin prit en charge la paroisse. Ses registres subsistent encore : baptêmes de novembre 1592 à février 1595 et mariages de 1592 à 1594. Cependant, la forteresse fut prise par les Espagnols, le pasteur s’enfuit et les cultes furent évidemment supprimés.

D’autres lieux, déjà cités, servirent encore, plus ou moins officiellement, aux réunions des huguenots : Chastel-en-Cambrésis, Tupigny, Prémont, Seraucourt, Crépy, Laon, ...



L’édit de Nantes


Henri IV édicta en avril 1598 l’édit de Nantes, qui ne fut enregistré par le parlement de Picardie que le 25 février suivant.

L’édit donnait, à tout seigneur haut justicier ou possédant plein fief de haubert, le droit de pratiquer l’exercice de sa religion et de tenir des réunions de religionnaires en sa maison ou fief, à condition que ce soit son principal domicile et son lieu de résidence. Si ce seigneur était absent, les assemblées religieuses ne pouvaient avoir lieu que si sa femme ou sa famille résidait sur place. Par ailleurs il pouvait aussi faire exercice de sa religion dans ses autres maisons de haute justice et de haubert, à condition d’être présent. Dans les maisons de son fief qui n’avaient pas ce caractère, l’exercice était licite pour la famille seulement, exception faite pour les baptêmes, visites d’amis ou autres, à condition que ces maisons ne soient pas dans une ville appartenant à un seigneur haut justicier catholique, si ce n’est alors avec la permission de ce dernier. En outre, dans chaque bailliage, sénéchaussée et gouvernement, était prévu un endroit où le culte se ferait publiquement (article XI).

Trois commissaires furent chargés par le roi de faire appliquer l’édit en Picardie. Ces " commissaires de l’édit " furent Chaulnes, Longrenier et Jeannyn.

Par ordonnance rendue à Magny-la-Fosse le 2 septembre 1599, les commissaires décidèrent que l’exercice public de la religion réformée en Picardie serait établi à Desvres et au Haucourt. Cependant les protestants, après en avoir fait la demande au roi Henri IV, n’avaient pas attendu l’enregistrement de l’édit pour reprendre l’exercice de leur religion au Catelet. De fin 1598 à 1599, plusieurs actes pastoraux furent notés sur les registres du Catelet miraculeusement conservés malgré la prise de la forteresse par les Espagnols. Le pasteur de cette époque était Jehan Duperche, mais d’autres pasteurs apparaissent aussi sur certains actes. (Jacques de Veines, pasteur à Crépy ou Zacharie Richard, pasteur de Lœuilly). Les protestants désiraient garder leur lieu de culte au Catelet, mais ils n’obtinrent pas satisfaction. On leur objecta que la place était peu sûre - ce qui était vrai - et risquait de passer à nouveau aux mains des ennemis. On leur fit valoir aussi que Le Haucourt avait une situation bien meilleure. De plus ce n’était qu’à deux lieues de Saint-Quentin par le vieux chemin dit des bannis. C’était aussi assez proche de Bohain, où s’étaient réfugiés beaucoup d’hérétiques du Cambrésis espagnol, et atteignable par les réformés de Thiérache. Le pasteur Duperche abandonna donc l’exercice de la religion au Catelet pour le pratiquer au Haucourt. Il dut se loger à Bohain, n’ayant pas pu obtenir le droit de résider à Saint-Quentin. En effet, les magistrats de la ville regardaient toujours ceux de la nouvelle religion avec autant de méfiance. De ce fait, ils avaient édicté depuis le 31 mars 1599 une ordonnance de police défendant aux étrangers de résider dans la ville sans permission de ses magistrats. Dans la pratique, la permission était accordée à ceux des réfugiés qui pouvaient apporter richesse et profit à la ville. Quant aux autres, ils étaient refoulés.

A partir de 1601 et jusqu’en 1607, le ministre du Haucourt fut David Richier. Plus gâté que son prédécesseur, il obtint le droit de se loger à Saint-Quentin avec sa femme, Marguerite Gellé. Les Saint-Quentinois restaient cependant très opposés aux huguenots. En décembre 1602, ils adressèrent une remontrance au roi. Ils y accusaient ceux de la R.P.R. (religion prétendue réformée) de faire grand trafic de toilettes, de s’enrichir et d’acheter des seigneuries où ils faisaient travailler des laboureurs réfugiés venant de l’autre côté de la frontière. Ils soulignaient le danger représenté par ces étrangers dont certains pouvaient être de " dangereux espions ". Henri IV ne leur donna guère gain de cause et répondit en rappelant que les règlements de police devaient s’appliquer à tous, quelle que soit la religion.

Les autorités de Saint-Quentin inquiétèrent aussi Nicolas Philippe, huguenot condamné pour avoir reçu chez lui son frère, sa fille et son gendre sans en avoir demandé la permission. Philippe fut en outre accusé d’avoir tenu des assemblées chez lui et d’avoir chanté des psaumes à haute voix, au grand scandale de ses voisins. Nicolas Philippe en appela au parlement, qui trancha en ajournant purement et simplement la cause.

De toutes façons, malgré l’édit de Nantes, l’heure de la réconciliation n’était pas encore venue. Les catholiques, tant officiers du roi qu’autres personnes, ne manquaient pas une occasion de causer préjudice à ceux de la nouvelle religion. Par exemple, ils s’introduisaient dans les colloques pour en troubler les délibérations.

Après Richier, ce fut le pasteur Duval qui vint soutenir l’Eglise du Haucourt, de juin 1607 à 1610. Son successeur, le pasteur Pierre Brisbar, et plusieurs coreligionnaires adressèrent une requête aux " commissaires de l’édit ", demandant de pouvoir faire l’exercice du culte dans les faubourgs de Saint-Quentin et d’ouvrir une école pour les enfants protestants. Interrogées par les commissaires, les autorités de Saint-Quentin ne se laissèrent nullement impressionner. Non seulement elles cherchèrent à contrer ces demandes, mais elles en profitèrent pour attaquer les protestants sur un autre terrain. Il s’agissait des enterrements. Les magistrats de Saint-Quentin demandèrent que les protestants aient obligation d’enterrer leurs morts sans grande assemblée et qu’ils soient soumis à autorisation quant à l’heure d’inhumation. Les commissaires commencèrent par donner raison aux magistrats Saint-Quentinois sur ce dernier point... Quant à la demande d’exercice de culte dans les faubourgs et de création d’école, les autorités firent intervenir auprès de Sa Majesté le vicomte d’Auchy, gouverneur de Saint-Quentin, et rien ne fut accordé aux protestants.

La charge de Brisbar dura jusque vers 1617, date à laquelle on ne trouve plus trace de sa signature dans les actes pastoraux du Haucourt.

En 1623, Isaac de Juigné ne resta que quelques mois pasteur de l’Eglise de Saint-Quentin et fut bientôt remplacé par Jean Mettayer. Les vexations continuaient de plus belle. En 1630, on intenta un procès à Josué Bertin, tailleur d’habits huguenot, pour avoir fait remuer ses ciseaux le dernier jour de la Notre-Dame ! Quelques années plus tard, Marie Warquin était condamnée pour avoir installé une buerie sur l’île Saint-Quentin, lieu où on avait trouvé le corps martyrisé du saint patron de la ville.

Cependant, les faits politiques ne laissaient pas d’inquiéter les réformés du Vermandois. Richelieu avait déclaré la guerre à la maison d’Autriche et rompu avec les Espagnols. L’exercice au Haucourt menaçait d’être entravé. Il fallait chercher un autre lieu de culte. Dans cette perspective, messire Robert de Saint-Delys, chevalier, baron de Heucourt, seigneur haut-justicier de Heucourt, Urvillers et autres lieux, recourant aux dispositions de l’édit de Nantes, nomma en 1636 sa maison seigneuriale d’Urvillers pour son principal domicile auquel il entendait faire l’exercice de la R.P.R. Les événements lui donnèrent raison. Le frère du roi d’Espagne, gouverneur des Pays-Bas, envahit la Picardie, la Thiérache, le Vermandois, le Santerre, l’Amiénois et le Ponthieu. Ses troupes étaient constituées de mercenaires polonais, hongrois et croates, à l’aspect terrifiant. Rendus encore plus sauvages par le non-paiement de leur solde, ils massacrèrent, pillèrent, brûlèrent, violèrent. Les malheureux survivants se réfugièrent dans les nombreux souterrains de la région, mourant de faim et de maladie. Le Haucourt fut au nombre des villages brûlés et détruits. Une fois encore, les registres de l’Eglise, sans doute précieusement mis à l’abri, furent préservés.

On ne sait si l’exercice de la religion put avoir lieu un temps, comme prévu, chez Robert de Saint-Delys. Ce dernier fut prévenu, très certainement à tort, de trahison, condamné à mort, ses biens confisqués et il fut décapité devant la citadelle d’Amiens le 11 septembre 1638, ce qui éliminait un seigneur huguenot considéré comme trop actif. Il semble par contre que des actes paroissiaux furent pratiqués à Villers-Saint-Christophe, vieille localité où s’était implanté le calvinisme depuis près d’un siècle et annexe de l’Eglise de Saint-Quentin.

Au début de l’année 1641, le culte et les actes paroissiaux purent avoir lieu au château de Pommery, dont madame de Barisy, fidèle adepte de la religion réformée, avait l’usufruit. Désireuse de respecter les édits, madame de Barisy, deux années auparavant, avait très officiellement averti les officiers du roi de son intention d’accueillir ses coreligionnaires. Elle avait fait toutes déclarations nécessaires au greffe. Cependant, à peine les premières réunions avaient-elles eu lieu que les oppositions affluèrent. On reprocha à madame de Barisy de n’être qu’usufruitière. On fit remarquer qu’elle n’habitait pas sur place, mais en fait à Saint-Quentin. D’autre part, Pommery n’était pas fief de haubert. Il était de plus à craindre que, la maison étant isolée au-delà de la Somme, les ennemis ne s’en emparassent, sous prétexte d’aller au culte, puis une fois sur place, ne soient en position d’investir Saint-Quentin. Toutes ces attaques portèrent leurs fruits ; quinze jours ne s’étaient pas écoulés que l’intendant de justice interdisait l’exercice de la religion réformée à Pommery. En outre, il déclarait que les protestants pourraient reprendre l’exercice de leur religion au lieu " destiné à cet effet ", c’est-à-dire au Haucourt. Renvoyés dans un temple qui avait été démoli pendant la guerre depuis quatre ans passés, les huguenots réclamèrent et obtinrent, six mois plus tard, un arrêt du Conseil renvoyant l’affaire à l’avis du roi. Il ne fallut pas moins de deux ans pour qu’un avis favorable fut enfin rendu et que les cultes à Pommery reprennent (décembre 1643).

Malheureusement, les problèmes n’étaient pas terminés. En effet, madame de Barisy mourut en février 1646 et les héritiers de Pommery, bons catholiques, prièrent les réformés de vider les lieux. Néanmoins ceux-ci purent se maintenir à Pommery jusqu’en 1650.

Cependant, il fallait absolument trouver un autre lieu pour les assemblées religieuses. Les huguenots chargèrent leur député général d’intervenir auprès du roi et, finalement, ce dernier ordonna au lieutenant général de Saint-Quentin de régler le problème (lettre de cachet du 16 mai 1653). Les choses continuant à traîner, quatre ans passèrent avant que l’intendant ne désigna le village de Dallon. En apprenant cette décision, le pasteur Jean Mettayer fut atterré : il ne voulait pas de ce lieu ! Les huguenots avaient attendu cette réponse si longtemps qu’ils avaient eu le temps de réfléchir au problème et ils avaient d’autres vues ! En effet, l’Eglise de Saint-Quentin possédait au Haucourt un petit terrain laissé en héritage par madame de Barisy. Elle détenait aussi une somme non négligeable provenant de divers dons, somme avec laquelle elle comptait acquérir un terrain pour agrandir celui de madame de Barisy. L’Eglise souhaitait donc que ses assemblées aient lieu au Haucourt et non à Dallon. Soutenu par un ancien d’Eglise, Louis Crommelin, Jean Mettayer reprit les mêmes objections qui avaient été faites par ses adversaires eux-mêmes lors d’un précédent projet ; il fit remarquer que Dallon était situé à proximité immédiate de Saint-Quentin et pourrait être facilement investi par les ennemis, ce qui représenterait un grand péril pour la ville. Cette objection fut sans doute prise en considération car on abandonna le projet de Dallon.

Survint le traité des Pyrénées en novembre 1659, qui mit fin à la guerre contre l’Espagne. Le moment sembla plus propice pour entreprendre la construction d’un nouveau temple, auquel serait adjoint une maison consistoriale. On commença par bâtir un édifice provisoire, c’est-à-dire une grange, dans le jardin du seigneur du Haucourt. Pendant ce temps, l’Eglise de Saint-Quentin acquit par acte notarié du 20 janvier 1662 passé devant maître Langellerie, notaire royal à Saint-Quentin, le terrain contigu au petit héritage de madame de Barisy, le tout se trouvant à peu près à l’emplacement de l’ancien temple détruit par la guerre.

Les travaux commencèrent. Cependant, l’évêque de Noyon voyait avec colère le temple s’élever. Il brandit bientôt des arguments destinés à stopper la construction : ces travaux étaient contraires aux édits et ordonnances, l’endroit était à vue de l’église catholique paroissiale, d’où il résultait qu’on pourrait y entendre les prêches réformés ! Devant ces accusations, le roi ordonna d’interrompre les travaux et d’ "assigner les parties au mois ". Une procédure touffue s’en suivit, au début de laquelle l’Hôtel de ville trouva bon d’interdire aux huguenots la place du marché et les chemins menant au Haucourt. Les protestants se plaignirent au bailli qui les renvoya se pourvoir ailleurs.

Les magistrats de Saint-Quentin intervinrent ensuite dans les débats de l’affaire qui opposait les huguenots à l’évêque et demandèrent l’interdiction complète de construire. Ils prétendirent que les réformés étaient résolus à bâtir une forteresse pour investir Saint-Quentin. Puis, poussés par la jalousie et l’intolérance, ils poursuivirent : " ... et quand il n’y auroit autre chose que de les voir aller comme une espece d’arméé les uns en carosse, les autres en charrette, les autres a cheval traverser une ville toute entiere, il seroient impossible d’eviter tous les malheurs que peult causer dans une ville ou tout le monde se cognoist l’antipathie qui nest jamais plus forte que par la difference de la religion mais qui s’augmenteroit encor par la pompe de leur equipage parce quencor que ceux de la religion pretendue reforméé sont tous marchandz qui ont estably une manufacture de toille de soye et un trafficq de toille et une correspondance avec les hollandois, il ny a point de carosses dans la ville que ceux quilz ont et y cheminans en cette equipage pour aller au presche il seroit impossible de contenir le peuple qui ne pourroit porter quavec peine ce fast et cette ostentation, etc. "

Ce n’est qu’à fin 1662 qu’une décision intervint. Le parlement enjoignit aux protestants de se comporter plus modestement et de ne commencer leur prêche qu’à l’issue de la messe. Si certaines conditions étaient remplies (taille du temple limitée, interdiction d’adjoindre un clocher ou une tour), la construction pouvait reprendre. Cependant l’évêque de Noyon, dont l’humeur n’arrivait pas à s’améliorer en voyant les murs monter, était à l’affût de nouvelles attaques contre les religionnaires. Il eut vent de ce que le pasteur Jean Métayer prêchait, non seulement dans son lieu de culte principal mais, en plus, dans ses annexes. Or, par déclaration de décembre 1634, Louis XIII avait défendu aux ministres de la R.P.R. de " faire prêche ni autre exercice sinon au lieu de leur demeure ". Lorsque cet édit fut confirmé par Louis XIV en octobre 1664, alors que le temple continuait à s’édifier, l’évêque trouva l’occasion de se venger et dénonça le pasteur.

De leur côté, les réformés, confiant en la justice de leur roi, adressèrent une requête à son ministre Colbert. Ils y dénonçaient toutes les vexations qu’ils avaient subies de la part des autorités de Saint-Quentin. Ils se plaignaient que les celles-ci les traitent d’espions, chassent certains d’entre eux de la ville, fassent plus peser les taxes sur eux que sur les autres habitants, les contraignent à loger gratuitement les gens de guerre alors que les autres logeurs avaient droit à un dédommagement. Colbert étudia le problème. Il mit près de deux ans à répondre et, dans un souci de justice, ordonna aux autorités de Saint-Quentin de répartir de la même façon l’ustensile des officiers du roi sur tous les habitants, quelle que soit la religion du logeur. Une sommation adressées trois mois plus tard par les auteurs de la requête aux mayeur et échevins de la ville montre que, malgré les ordres de Colbert, les autorités Saint-Quentinoises continuèrent à agir comme auparavant, tout au moins pendant un temps...

Après la fin de sa construction, le temple du Haucourt donna enfin aux huguenots un lieu convenant à l’exercice de leur religion. Mais, pour aller de Saint-Quentin au Haucourt, le chemin était long ; il fallait parcourir huit kilomètres ! Ceux qui allaient à pied empruntaient un chemin nommé chemin des bannis. Il leur fallait deux bonnes heures à travers les fondrières pour aller et autant pour revenir... Pour y aller en carriole, il fallait prendre un chemin plus carrossable qui nécessitait un détour. La surface de la paroisse coïncidait, ou peu s’en faut, avec celle du Vermandois au 17e siècle. Elle comprenait vraisemblablement les cantons du Catelet, Bohain, Vermand, Saint-Quentin et Saint-Simon, la portion du canton de Guise située sur la rive droite de l’Oise, la presque totalité du canton de Moy dans l’Aisne, une partie des cantons de Ham et de Roisel dans la Somme, les villages de Villers-Outréaux, Malincourt et autres dans le Nord.

Le 7 février 1668, l’Eglise de Saint-Quentin eut le malheur de perdre son ministre Jean Mettayer. Il s’était dévoué corps et âme à ses coreligionnaires. Les vingt-six chefs de famille de la paroisse demandèrent au synode de Charenton de bien vouloir nommer son fils Samuel Mettayer pour lui succéder. A vrai dire, le synode avait déjà depuis huit ans nommé Samuel Mettayer en tant que ministre adjoint de l’Eglise de Saint-Quentin, mais les autorités de la ville ne l’avait jamais reconnu comme tel, sous prétexte que les édits ne prévoyait qu’un seul pasteur par paroisse. Cela leur avait permis en outre de lui appliquer des taxes dont les ecclésiastiques étaient normalement exempts...

Les vexations continuelles et les difficultés variées rencontrées par les réformés finirent par porter leurs fruits. En 1670, une dizaine d’entre eux, avait adressé une requête aux autorités de la ville pour obtenir la permission de former une corporation de marchands de toilettes en se réunissant à quelques marchands catholiques. Fatigués et doutant d’un meilleur avenir, ils affirmèrent s’être ralliés à la religion catholique, apostolique et romaine. C’était des hommes brisés qui en arrivaient là. Trois d’entre eux, protestants de toujours, avaient signé peu avant la demande de nomination de Samuel Mettayer. Certains, tiraillés par leur conscience, n’arrivèrent d’ailleurs pas à apposer leurs signatures en bas de la requête. Mais cette déclaration de catholicité n’empêcha pas les autorités de continuer, comme auparavant, à leur imposer des charges en nature, comme aux autres huguenots (lit, tables chaises, etc., pour la femme du gouverneur). En fin de compte, plusieurs de ces malheureux moururent sans avoir vraiment abjuré suivant les règles.

Cependant, malgré tous les efforts du clergé et des mayeur et échevins de Saint-Quentin, la Réforme continuait. Malgré les persécutions, le nombre de religionnaires avait encore augmenté. On en trouvait même parmi les anciens capucins de Saint-Quentin ! Le scandale atteignit son comble lorsqu’on apprit la conversion de la supérieure de l’Hôtel-Dieu de Saint-Quentin, sœur Agnès. Celle-ci dut quitter précipitamment son couvent et se réfugier à Genève.

La reprise de la guerre avec l’Espagne en octobre 1673 provoqua encore d’autres soucis. Par deux fois, le nouveau pasteur, au mépris de l’article 44 de l’édit de Nantes, dut recevoir chez lui des gens de guerre envoyés par le fourrier de la garnison. Samuel Mettayer protesta vigoureusement et assigna au Conseil privé les mayeur et échevins. Mais le roi rejeta sa demande, ce qui donna aux autorités l’idée d’envoyer chez le ministre un capitaine et deux cavaliers supplémentaires ! Il est vrai qu’au même moment, vu les nécessités de la guerre, plusieurs chanoines étaient eux-mêmes mis en demeure de loger des militaires.

Autre problème de cette époque : celui des pierres tombales. Suivant les directives, les enterrements des protestants se faisaient maintenant sans aucune solennité extérieure et les tombes étaient juste recouvertes d’une petit monticule de terre. Le riche Samuel Crommelin voulut cependant poser une pierre sur la tombe de son père. Il en demanda la permission au consistoire de Saint-Quentin et l’obtint. Cela choqua les autres huguenots qui firent appel au synode de Charenton. Ce dernier désavoua le consistoire, prescrivit de laisser ce qui avaient été fait " en l’état " et ordonna de ne pas renouveler pareille erreur à l’avenir. Ces malheureuses dissensions entre protestants arrivèrent à la connaissance des catholiques. Dès qu’ils eurent vent de cet incident, qui les mit aussitôt en éveil, ils allèrent observer la pierre incriminée. Une phrase gravée attestait l’espoir que l’âme du défunt ressusciterait à la fin des temps pour aller au ciel. Ce fut intolérable ! Ils ne pouvaient déjà admettre qu’un huguenot se fut attribué une pierre tombale semblable aux leurs. Mais c’était de plus particulièrement scandaleux qu’une phrase gravée prétende qu’un hérétique aurait le droit aller au ciel. L’évêque de Noyon envoya une requête à monsieur de Breteuil, intendant de Picardie. Il en profita pour demander qu’à l’avenir les protestants n’aient plus le droit d’avoir un cimetière à l’intérieur de la ville. Cependant il ne semble pas que cette demande de l’évêque ait abouti.

Les différents moyens employés pour ruiner l’industrie des protestants de Saint-Quentin ayant échoué, les autorités imaginèrent d’ériger deux de leurs manufactures en maîtrises. C’était la mainmise sur ces fabriques : leur exploitation par un syndicat électif auquel le roi pouvait ajouter à son gré de nouveaux membres, la possibilité d’expulser les ouvriers " mal pensants ". Les propriétaires huguenots se défendirent en envoyant un mémoire à Colbert. Celui-ci intervint auprès de l’intendant de Picardie en ces termes :

Monsieur,

... Je vous envoye un memoire qui m’a esté donné concernant les manufactures de Saint-Quentin. Il seroit bien nécessaire d’avoir une attention particulière à cette ville la, soit pour travailler à la conversion des huguenots qui y sont en grand nombre, soit pour empescher qi’ils n’en sortent, et ne s’en aillent en hollande, et pout y maintenir les manufactures considerables qui y sont establies...

Je suis monsieur Vostre tres humble et tres affectionné serviteur.

A Fontainebleau le 13e aoust 1681 Colbert

L’affaire en resta là.

Un autre industriel, Jehan Vasselart, fabricant de gaze, se trouva ruiné par l’obligation qui lui fut faite d’ôter sa buerie du faubourg Saint-Nicaise. Il eut le tort de s’en plaindre devant témoins, fut arrêté et réussit néanmoins à s’enfuir.

Au fil du temps, le roi Louis XIV, qui ne voulait plus de nouveaux huguenots dans son royaume, prit des mesures de plus en plus dures contre les réformés. Il décida par exemple d’affranchir les enfants dès l’âge de sept ans de l’autorité de leurs parents dans les choses religieuses. Ces enfants pouvaient abjurer sans que leurs père et mère pussent s’y opposer. La situation finit par devenir intolérable. Beaucoup de familles partirent en exil ou s’apprêtèrent à le faire. A Saint-Quentin, les autorités municipales elles-mêmes finirent par s’émouvoir. Certes, elles cherchaient par tous les moyens à humilier les huguenots mais, si ceux-ci s’en allaient, les manufactures disparaîtraient et avec elles la prospérité de la ville ! L’Hôtel de ville en informa l’intendant de Picardie, monsieur de Breteuil, qui en référa au ministre.

Pour entraver les départs du royaume de ses sujets huguenots, Louis XIV prit plusieurs mesures. En juin 1681, il fit défense à tous ceux de la R.P.R. d’envoyer et de faire élever leurs enfants dans les pays étrangers avant l’âge de seize ans. Ceci laissait entendre que, si des parents s’en allaient, on ne leur permettrait pas d’emmener leurs enfants. Par ailleurs, dans une déclaration du 14 juillet 1682, il avertissait les réformés (et leurs acheteurs éventuels) que les ventes d’immeubles qu’ils feraient moins d’un an avant de sortir du royaume seraient frappées de nullité et les immeubles confisqués.

Cependant beaucoup de huguenots continuèrent à s’enfuir après avoir réalisé leur fortune à l’avance et avoir enlevé meubles et marchandises. Les plus prudents partaient par Paris, les plus pressés par Valenciennes.

En 1683, l’Eglise de Saint-Quentin, loin de retrouver la sérénité, dut subir encore de dures épreuves. Un de ses membres, Pierre de Noyelle, linier à Bertaucourt (annexe de Pontru) avait pour apprenti le jeune Ambroise Pointier, à qui il fit lire quelques livres interdits et qu’il emmena au temple du Haucourt. Depuis 1680, il était formellement interdit à un catholique de changer de religion. Le jeune Pointier, soupçonné de s’être converti, fut dénoncé par une personne bien intentionnée. Il fut arrêté et condamné à faire amende honorable en carcan en l’audience du lieutenant criminel et à une amende de " quarante livres vers le roi ". Un mois plus tard, il était toujours en prison. Soutenu de l’extérieur par son patron et ami Pierre de Noyelle, il prit part à une sédition des détenus dans le but de s’évader. Mal lui en prit car ce projet échoua et lui valut, outre une nouvelle amende de soixante livres, une condamnation à cinq ans de galères ! Pierre de Noyelle fut, à son tour, arrêté pour avoir participé à un complot avec les prisonniers. Il était en outre accusé d’avoir voulu convertir un catholique.

Dans le même temps, les doyen, chanoines et chapitre de l’église royale et pro-épiscopale de Saint-Quentin se portèrent demandeurs contre trois autres membres de l’Eglise huguenote : Samuel Mettayer, Elisabeth Bossu et Marie Testart. Six chefs d’accusation étaient dressés contre le ministre Mettayer.

1) De tenir des assemblées secrètes dans sa maison.

2) D’avoir pratiqué des baptêmes dans la ville de Saint-Quentin et non pas uniquement au Haucourt.

3) D’avoir souffert que des ministres étrangers prêchassent.

4) D’avoir laissé des catholiques, dont Pointier et un certain Luxembourg, s’introduire dans son prêche et des relaps y faire profession de foi R.P.R.

5) D’avoir amené plusieurs réguliers et séculiers à professer sa religion.

6) D’avoir rendu relaps plusieurs convertis.

De leur côté, Elisabeth Bossu et Marie Testart étaient accusées d’avoir contribué à la conversion des deux capucins et de la religieuse dont il a été question précédemment (le père Constantin, le père Delafons et la sœur Agnès).

Les accusés se défendirent habilement, point par point. Mais les accusateurs soutinrent leurs griefs et demandèrent de joindre au procès la cause d’autres hérétiques. à savoir Pierre de Noyelle, deux autres ouvriers en soie et une servante, ces trois derniers catholiques convaincus de s’être nouvellement convertis.

Après délibérations, le nommé Luxembourg et la servante furent condamnés à faire amende honorable, corde au cou, devant l’église de Saint-Quentin et au bannissement perpétuel. Les ouvriers catholiques convertis furent condamnés à faire amende honorable et aux galères. Pierre de Noyelle dut faire amende honorable, payer " cent livres d’amende vers le roi " et fut banni pendant cinq ans du bailliage de Vermandois.

Samuel Mettayer fut condamné à " six cents livres d’amende vers le roi " et interdit de ministère dans le royaume pour toujours. Elisabeth Bossu fut condamnée à être admonestée en présence des gens du roi et à trois cents livres d’amende. Quant au jugement de Marie Testart, il fut remis à plus tard.

Samuel Mettayer, Elisabeth Bossu et Marie Testart en appelèrent à la sentence du parlement. Le 17 juillet 1684 le jugement définitif interdisait l’exercice et la fonction de ministre à Samuel Mettayer mais seulement pendant six mois, temps durant lequel le temple du Haucourt serait fermé. Les deux femmes étaient condamnées à être admonestées et à payer chacune trois cents livres d’amende.

La sentence du lieutenant criminel, même atténuée par la cour du parlement, confirma aux protestants leur situation précaire. Ils avaient, par ailleurs, connaissance des nouvelles rigueurs imposées dans toute la France. Cet état de choses les incita d’autant plus à quitter le pays. Nombreux furent ceux de Saint-Quentin qui vendirent meubles et effets et partirent avec leur argent disponible, parfois même avec leurs marchandises.





La révocation de l’édit de Nantes


La révocation de l’édit de Nantes le 18 octobre 1685 mit le point final aux derniers espoirs de ceux qui restaient. Le roi voulait une seule religion dans son royaume. Il était d’ailleurs persuadé que les efforts qu’il avait prodigués depuis des années pour remettre dans le droit chemin les hérétiques avaient porté leurs fruits et qu’il ne restait presque plus de religionnaires, les uns ayant abjuré, les autres étant partis.

L’édit enjoignait aux ministres de la R.P.R. de se convertir ou de quitter le royaume dans les quinze jours. Pour Samuel Métayer, il n’était pas question d’abjurer, il se résigna donc à se retirer à Londres. Le roi d’Angleterre Jacques II, par dérogation spéciale, lui accorda la permission de se soustraire à la règle qui astreignait jusque-là les réfugiés à suivre le rite anglican. Dès lors, Samuel Mettayer s’occupa donc d’instituer en Angleterre une Eglise française calviniste. Des terrains furent achetés et de nouvelles églises bâties.

Le dernier article de l‘édit de révocation concernait les huguenots obstinés refusant de se convertir. " En attendant qu’il plaise à Dieu de les éclairer ", ils pouvaient demeurer en France et y continuer leur commerce, à condition de ne tenir aucune assemblée et de ne pas pratiquer leur religion. Quelques optimistes espérèrent que cet article leur permettrait de bénéficier d’une certaine neutralité religieuse ; ils comprirent vite leur erreur en voyant arriver, outre les théologiens catholiques chargés de les convertir, des dragons armés d’épées et de mousquets. Ces dragons profitaient de leur droit de logement pour piller et brûler, si bien que les malheureux religionnaires finissaient par être obligés d’abjurer sous la contrainte. A Saint-Quentin, le plus récalcitrant des huguenots fut Jean Descarrières qui résista autant qu’il put avant de se résoudre, la mort dans l’âme, à abjurer.

Bientôt Louvois fut averti qu’il ne restait aucun hérétique en la bonne ville de Saint-Quentin. Cependant il était aussi informé qu’il subsistait plusieurs autres foyers d’hérésie, notamment à Bohain et Brancourt. Ayant constaté l’efficacité des soldats à Saint-Quentin, il décida de pratiquer de même dans les villages incriminés. Il envoya donc sur place les soldats de la garnison de Cambrai, tandis que l’évêque de Noyon, la bouche pleine de paroles charitables, y accompagnait plusieurs missionnaires.

Pour être valable, l’abjuration des hérétiques devait avoir lieu suivant une procédure bien précise devant plusieurs témoins, dont un représentant de l’évêque. Les Nouveaux Convertis devaient ratifier leurs promesses " dans les termes prescrits ", c’est-à-dire reconnaître leurs erreurs et faire profession de la foi catholique, apostolique et romaine. L’absolution leur était ensuite administrée. Un certain nombre d’entre eux furent ensuite tourmentés par leur conscience, aussi arriva-t-il que, sur leur lit de mort, ils refusent de recevoir les sacrements du prêtre et déclarent vouloir mourir dans la Religion Prétendue Réformée. Certains de ces cas furent rapportés au lieutenant criminel du bailliage de Vermandois. En application d’une déclaration du 29 avril 1686, ce dernier fit condamner les cadavres à être traînés sur une claie attachée à une charrette avant d’être jetés à la voirie. Les biens des défunts furent confisqués.

Une autre ordonnance concernant les Nouveaux Convertis fut décrétée le 16 octobre 1688. Elle ordonnait qu’ils remettent aux magistrats " tous les mousquets, fusils, carabines, pistolets, épées, hallebardes et autres armes en leur possession ".Seuls, les gentilshommes avaient l’autorisation de garder quelques armes.

Si certains huguenots se " convertirent " du bout des lèvres, d’autres décidèrent de s’enfuir comme l’avaient déjà fait nombre de leurs prédécesseurs. Ils cherchèrent refuge en Angleterre et en Hollande. Des réseaux de guides s’organisèrent. C’étaient, pour la plupart, des gens honnêtes et dévoués, mais il arriva que certains, pour des raisons mercantiles, trahissent les groupe dont ils avaient la charge. Lorsqu’un groupe de huguenots en fuite était surpris, ils étaient emprisonnés après que la régie des fermes leur avait enlevé argent et bagages. Louis XIV jugea bientôt que les Fermiers Généraux s’enrichissaient trop et qu’une partie du butin pourrait tomber dans sa propre caisse. Il fit donc prescrire que les religionnaires arrêtés fussent dorénavant jugés, non par le tribunal des traites, qui faisaient confisquer les biens au profit des Fermiers Généraux, mais par les juges faisant " procès des personnes ". Cela lui permit de ne laisser aux fermiers du Domaine qu’un tiers des biens saisis, le reste tombant dans la caisse royale.

Cependant, au bout d’un moment, un problème auquel on ne s’attendait pas se posa. Comme le nombre de protestants arrêtés s’accrut rapidement et comme ces huguenots opiniâtres refusaient de se convertir, prisons, bagnes, couvents, galères furent bientôt pleins. Les autorités se virent alors contraintes d’expulser et de faire conduire elles-mêmes à la frontière un certain nombre de religionnaires, ce qui était contraire à la loi !

Un article de l’édit d’octobre 1685 ordonnait la destruction des temples. Ainsi fut détruit le temple du Haucourt, qui avait été bâti avec tant de difficultés. La vente des matériaux récupérés servit à payer les réparations de l’église catholique du même village et à construire l’église catholique d’Esserteaux.

La guerre de la Ligue d’Augsbourg, déchaînée en 1688 sur l’Europe par les persécutions dont souffraient les protestants français, occupa le roi pendant neuf ans, ce qui procura un certain répit aux Nouveaux Convertis. Certains d’entre eux avaient une conduite dont Sa Majesté avait lieu d’être satisfaite. Mais beaucoup, petit à petit, sortirent de leur torpeur, commencèrent à ne plus monter la docilité espérée et éludèrent les actes du culte catholique. Dans ce contexte, certains réfugiés se décidèrent à revenir mais se gardèrent bien de se manifester auprès du clergé catholique. Un ministre venant de Hollande vint leur rendre visite. Il se fit passer pour un marchand de dentelles et eut même la témérité de s’introduire à Saint-Quentin ! Trois ans plus tard, un autre pasteur du désert, Gardien Givry, dit Duchêne, revenant d’Angleterre, fit un séjour dans la région de Saint-Quentin et visita Landouzy-la-Ville, Saint-Pierre, Lemé. A la lueur des flambeaux, il présida deux longues réunions nocturnes à la " boîte à cailloux ", vallon très boisé proche d’Hesbécourt. La foule se pressait pour recueillir ses paroles ; plus de cinq cents personnes vinrent l’écouter à chacune des réunions de la boite à cailloux.

La paix de Ryswick, libérant Louis XIV de ses soucis avec les étrangers, lui permit de reprendre plus activement son œuvre, si bien commencée, destinée au salut des âmes de ses sujets. Le 7 janvier 1699, un mémoire rappela et confirma aux intendants et commissaires les instructions de l’édit d’octobre 1685.

C’est à cette époque que se situe l’histoire de Nicolas Frenoy, berger à Remigny. Cette affaire impliquait un certain nombre d’anciens calvinistes de la paroisse de Saint-Quentin. Nicolas Frenoy était catholique et marguillier de sa paroisse. Messieurs Couillette, père et fils, tous deux blanchisseurs à Saint-Quentin, Jacob, brasseur au même lieu et Bocquet, brasseur de la Fère eurent l’occasion de lui parler de la foi huguenote, ce qui amena le berger à se procurer une Bible. Le curé l’apprit, s’en empara, la vendit et lui remit à la place une Vie des Saints. Le paroissien indocile parvint néanmoins à acheter une autre Bible qui fut de même soustraite par le curé. Les trois protestants Nouveaux Convertis évangélisateurs fournirent alors à Nicolas Frenoy un Formulaire de la cène, du baptême et du mariage, terminé par un catéchisme à l’intention des enfants de la R.P.R. et par des psaumes. Le berger-marguilier lut ce livre avec avidité et se mit à communiquer à son entourage sa nouvelle façon de voir. Témoin de ces faits et profondément atterré, le malheureux curé de Remigny se mit à considérer son paroissien comme un " dangereux libertin " et il en référa à l’intendant de Soissons. La justice royale, se rendant au domicile du berger, n’y trouva aucun livre interdit. Pour prouver sa dénonciation, le curé produisit alors une des Bibles confisquées. Frenoy jura que désormais il ne lirait plus que La vie des Saints. Ces bonnes dispositions lui valurent d’être seulement condamné à une amende ainsi qu’à fournir à l’église un cierge de cinq livres. Il dut aussi faire amende honorable en promettant de vivre désormais dans la religion catholique, apostolique et romaine.

En 1700, c’est-à-dire à peine un an après le rappel de Louis XIV à la sévérité, de nombreux Nouveaux Convertis ne faisaient pas acte de catholicité, tant à Saint-Quentin que dans les villages de Villers-Saint-Christophe, Jeancourt, Le Haucourt,... Pour récompenser les Nouveaux Concertis soumis et pour les inciter à continuer, Louis XIV décida donc de leur prodiguer ses faveurs. Il espérait attirer ainsi, dans le saint giron de l’Eglise, les huguenots plus récalcitrants. Comme récompense, il donna des armoiries aux manufacturiers et marchands jugés utiles à la prospérité du royaume. D’autres Nouveaux Convertis pratiquant correctement la religion catholique purent même acheter des brevets. C’est ainsi que certains devinrent assesseurs et échevins à Saint-Quentin.

Mais le roi Louis XIV vieillissait. Après les cinq traités de paix signés en 1713 et qui mirent fin aux guerres, le monarque sembla moins se complaire à la persécution religieuse. Son confesseur, le jésuite Letellier, l’encouragea cependant à signer la déclaration du 8 mars 1715. Les religionnaires Nouveaux Convertis refusant les sacrements de l’Eglise et déclarant persister et mourir dans la R.P.R. seraient déclarés relaps, même s’ils n’avaient pas abjuré dans le passé et leurs biens seraient confisqués.

Après la mort de Louis XIV, les protestants espéraient une accalmie dans les persécutions. En effet, les questions religieuses laissaient le régent Philippe d’Orléans assez indifférent. Mais, en Picardie, la maréchaussée rêvait encore de terroriser les parpaillots. C’est ainsi qu’on vit la maréchaussée de Péronne envahir par trois fois le village de Templeux-le-Guérard. Des maisons furent pillées et quatre huguenots arrêtés et conduits en prison, où ils croupirent six mois. Le prévôt de la maréchaussée, Legrand, tua d’un coup de pistolet Catherine Leloir, femme de Nicolas Dassauvillé, l’un des prisonniers relâchés. La justice fit grâce au meurtrier et, en même temps, envoya la fille de la victime rejoindre en prison deux de ses coreligionnaires !

Bon nombre de familles persistaient dans la foi réformée. Les huguenots picards les plus convaincus allaient se marier ou assister à des cérémonies religieuses dans les Eglises de la Barrière, de l’autre côté de la frontière du Nord. A Tournai, Armentières, Menin, Ypres et Namur, il y avait en effet des pasteurs qui ouvraient toutes grandes les portes de leurs églises aux protestants persécutés. Ces ministres huguenots étaient arrivés en 1715, après que les Pays-Bas espagnols avaient engagé des troupes de mercenaires hollandais pour tenir les garnissons formant barrière avec la France.

A la majorité du jeune roi Louis XV en 1723, les protestants retombèrent entièrement sous la domination de leurs ennemis. La déclaration du 14 mai 1724 confirma, et parfois même aggrava, les pénalités précédemment édictées. Une des grandes préoccupations du clergé résidait dans l’éducation des enfants protestants. La Vrillière écrivait à cette époque que les Nouveaux Convertis de Saint-Quentin faisaient passer leurs enfants en Hollande pour les faire élever dans la R.P.R. et n’envoyaient pas à la messe ceux qu’ils gardaient. Cette situation ne pouvait être tolérée. Mais, en raison même des excès des mesures contre les huguenots, ces dernières ne furent pas toujours appliquées.

En 1727, la ferveur de la foi huguenote s’était tant ranimée au nord du Vermandois que les cultes catholiques cessèrent pendant six mois à Jeancourt. Malgré les édits, on assistait à de nouvelles conversions qui venaient grossir les rangs huguenots. L’intendant Chauvelin résuma la situation en écrivant : " Je reçois tous les jours des plaintes de la part des curés de l’élection de Saint-Quentin, dont les paroissiens se pervertissent journellement pour embrasser la R.P.R. Il y en a qui s’ingèrent à faire les prédicants et qui corrompent les anciens catholiques. "

Les lois de répression continuaient pourtant à sévir. Le second jour de Pâques 1732, après avoir participé au culte des églises wallonnes de la Barrière, plus de deux mille huguenots furent arrêtés à leur retour, au passage de la frontière, et emprisonnés par ordre du gouverneur de la Flandre française.

En ce qui concernait les sépultures, la déclaration royale du 9 avril 1736 ordonna que, pour les religionnaires insoumis, si la sépulture ecclésiastique n’était pas accordée par le prêtre, l’inhumation aurait lieu en vertu d’une ordonnance du juge de police. Cette ordonnance, rendue sur les conclusions du procureur ou d’un haut justicier, devait être établie au greffe sur un registre spécial. Des extraits payant permettaient ensuite aux familles de faire pratiquer l’ensevelissement, sans aucune cérémonie religieuse, de grand matin ou le soir sans flambeaux. Toutes ces formalités étaient compliquées et coûteuses. N’ayant droit qu’à la terre profane, les morts huguenots étaient enterrés dans les jardins. S’il n’y avait plus procès aux cadavres, on pouvait encore assister à des procédés révoltants. En 1760 le pauvre Pierre Loir décédé à Monvouloir, hameau de la paroisse de Pontru, mourut en s’entêtant dans la religion réformée : son cadavre fut enfoui dans le fumier...

Parmi les autres Nouveaux Convertis un peu plus soumis qui mettaient les pieds à l’église catholique, certains n’en cherchaient pas moins à participer le moins possible à la vie de l’Eglise. A Saint-Quentin, pour éviter d’être nommés marguilliers, messire Isaac de Brissac, écuyer, messire Jean Baptiste Isaac de Brissac, écuyer et monsieur Abraham Descarrières, marchand, offrirent une bonne somme d’argent pour la réparation de l’église, à condition de ne pas être nommés.

Aucun pasteur connu n’avait visité le Vermandois depuis le passage de Givry près de quatre-vingt ans auparavant, lorsque le ministre Charmusy, toujours œuvrant dans le secret, s’attela en 1769 à la réorganisation des Eglises de Lemé, Hargicourt, Templeux et Flavy-le Martel. Dans ce dernier village, sous l’influence du ministre, le zèle des huguenots se montra vite si grand que le ministre des affaires générales de la religion protestante, fit raser la maison où ils se réunissaient. Les Eglises reprenaient vie lorsqu’elles furent privées de leur bon ministre Charmusy. En effet, celui-ci fut arrêté en chaire le jour de Pâques 1770 à Nanteuil-les-Meaux. Jeté en prison à Meaux, il y mourut au bout de neuf jours.

Jean Baptiste Briatte lui succéda. Picard, il était originaire de Serain. Pendant deux ans, se gardant avec soin de la maréchaussée, il parcourut le nord de la France en ranimant la foi de ses coreligionnaires. Il présida un consistoire à Lemé en 1772. Pour des raisons inconnues, il dut quitter la région en 1773.

Après la mort du roi Louis XV en 1774, Louis XVI prêta serment de poursuivre la politique religieuse de ses aïeux et d’exterminer les hérétiques.. Mais les temps avaient changé et les esprits évolué. Conseillé par des hommes éminents et enclin lui-même à la compassion, il mit moins de zèle que ses prédécesseurs à persécuter les protestants.

Les ministres protestants continuèrent à rétablir les réunions religieuses (même si elles restaient secrètes). Les Eglises furent réorganisées dans la Brie et jusque dans la Thiérache. Mais la circonscription de l’ancienne Eglise de Saint-Quentin restait fermée à l’exercice public du culte réformé. Dans la Haute-Picardie, il n’y avait alors que deux assemblées par an, qui se passaient de nuit. Vers 1775, le ministre de Saint-Quentin et Hargicourt, Dolivat et son collègue de Lemé, Bellanger, tentèrent d’améliorer cet état de fait. Un colloque s’assembla le 30 septembre 1776. Y participèrent anciens et diacres des consistoires d’Hargicourt et Jeancourt (Vermandois), Templeux (Santerre), Heucourt (Vimeu), Sempuis (Beauvaisis). Pour pourvoir aux principales dispositions à prendre, un règlement en dix-sept articles fut établi.

Quelques mois plus tard, un mémoire fut adressé au roi, lui exposant les événements survenus à Templeux-le-Guérard, Vendelles, Hargicourt, Nauroy, Jeancourt, etc., où les cavaliers de la maréchaussée continuaient à investir les assemblées protestantes, l’épée nue, pour en disperser les participants.

Si les lois n’avaient pas changé et si les prêtres en poursuivaient l’application, les magistrats, dont l’esprit avait évolué, hésitaient à les mettre en vigueur. Une preuve en fut fournit le 7 mars 1778 lorsque la Cour du Parlement ordonna la réformation, dans les registres paroissiaux, de plusieurs actes de baptême à Hargicourt, Jeancourt, Nauroy, afin de corriger la grossièreté des termes employés par certains curés lors des naissances d’enfants réformés. Un certain découragement envahit les curés alors que les réformés, toujours craintifs mais reprenant espoir, organisaient à Bohain leur premier synode, réunissant les représentants des Eglises de Picardie, Cambrésis, Orléanais et Berry (24, 25, 26 novembre 1779).

Comme un certain nombre de ses prédécesseurs, le ministre Dolivat, entraîné par un excès de zèle, se mit à manquer de prudence. Les réunions religieuses qu’il organisait en secret, furent découvertes et dénoncées. Ses ennemis le firent arrêter pour crime. Il fut emprisonné à Saint-Quentin et n’obtint son élargissement qu’à la condition expresse de ne plus prêcher.

Immédiatement après le départ de Dolivat, arriva en 1780 le ministre Jean-Baptiste Née, bien décidé à se montrer plus prudent que son prédécesseur. Il connaissait bien la région, son père étant né à côté de Templeux-le-Guérard, et il possédait beaucoup de cousins et amis dans la région. Il prit d’abord sa résidence à Bohain puis, deux ans plus tard à Templeux, chez monsieur Louis Drancourt. En 1783, il dut pourvoir de plus au service de l’Eglise de Quiévy, vacante depuis le départ de monsieur Fonbonne-Duvernet. Un an après, il se décida à fixer son domicile à Saint-Quentin en se faisant passer aux yeux des autorités pour un professeur de français donnant des cours aux étrangers. Son action s’exerçait secrètement en visites à tous les coreligionnaires de la province. Sans cesse par monts et par vaux, il organisait les cultes et les réunions, baptisait, mariait, ...

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